Nom : Hubert Pineault
Titre : Missonnariat et changements sociaux chez les Cris : impacts sur les femmes
Mots-clés : Algonquiens, autochtones, Cris, statut des femmes, missionnaires, missionnariat, organisation sociale, changement social, parenté, famille, maisonnée, religion, politique, pouvoir, mariage, leadership, chef, catholicisme, christianisme, conversion
Comme pour toute entreprise coloniale, le missionnariat a joué un rôle de premier plan dans les changements socioculturels qu'ont connus les Cris de la baie James. Il n'est donc pas étonnant que les chercheurs soient d'emblée portés à expliquer les changements dans l'organisation sociale par les conversions religieuses ou, d'une façon plus générale, par des changements d'ordre culturel. Dans un effort d'explorer une nouvelle dimension du colonialisme chez les Cris, je propose d'étudier les effets du social (formation et composition des groupes) sur le culturel (normes, croyances, valeurs, idéologies, etc.). Dans ce contexte caractérisé par l'omniprésence du prosélytisme, ces deux niveaux de réalité peuvent paraître inextricables. Je crois toutefois qu'il y a une solution et que la clef qui permettra de délier cette complexité réside dans l'étude des dynamiques de leadership.
Parmi les algonquinistes, il est consensuellement admis que les missionnaires ont usurpé le rôle des leaders traditionnels. Or, nous n'en savons encore que très peu sur les mécanismes qui leur ont permis d'atteindre cette position de prestige. De façon quasi généralisée, les auteurs se contentent de dire que les missionnaires ont surpassé les chamanes par leurs pouvoirs guérisseurs en apportant de nouveaux médicaments (Conkling 1974) et par leurs pouvoirs protecteurs en repoussant les êtres malveillants (Vincent 1991). Bien que l'aspect méritocratique du leadership fasse aussi consensus, les missionnaires ont-ils exclusivement eu recours à leur réputation pour devenir leaders? Qu'en est-il des chefs de bande, avaient-ils recours à d'autres moyens pour mériter ce titre?
À mon avis, les dynamiques de leadership chez les Algonquiens cachent une complexité insoupçonnée. En m'inspirant de la littérature sur le clientélisme, je propose une relecture de l'organisation sociale crie en plaçant les relations dissymétriques au cœur de leur vie politique. À terme, je crois que cette approche saura rendre compte à la fois de la vitesse des transitions culturelles, notamment de la progression des conversions au christianisme, et résoudre certains paradoxes qui affligent la littérature algonquiniste. En effet, les théories actuelles sur l'organisation sociale des Cris et des autres Algonquiens ne parviennent pas à harmoniser le concept de bande à l'extrême mobilité des familles dont les données ethnographiques font mention. De plus, les mécanismes d'élection des chefs demeurent mystérieux et insaisissables.
Instinctivement, les relations dissymétriques me semblent prendre forme – pour ne nommer que deux domaines – sur la base des droits d'exclusivité sur les ressources d'un territoire et sur les alliances interfamiliales sous-tendues par la négociation de mariages arrangés. Considérant ce dernier aspect et le fait que la résidence postmaritale était souvent matrilocale, je propose, en guise de première recherche réalisée selon cette conception clientéliste de l'organisation sociale crie, d'analyser le rôle des femmes dans les jeux de pouvoir menant certains hommes à devenir leaders (chefs?) de communautés (bandes?) se formant autour d'eux. Puis, je tenterai de comprendre l'impact que l'intensification de la présence missionnaire a pu avoir sur ces femmes en modifiant l'organisation sociale en place.
En s'intégrant aux communautés cries tout en monopolisant de nouvelles ressources, comme les rentes congréganistes et gouvernementales ainsi qu'en jouant le rôle de courtiers culturels (Olivier de Sardan 1991), les missionnaires auraient-ils chamboulé les dynamiques de leadership et les jeux de pouvoir qui les sous-tendent d'une façon assez profonde pour rendre désuètes des pratiques autrefois contrôlées par les femmes? La perte de statut des femmes cries serait-elle liée à cette modification de l'organisation sociale? Je tenterai d'éclaircir le sujet en me penchant sur les changements qu'ont pu subir la composition des maisonnées et des réseaux d'alliances matrimoniales avec l'arrivée des missionnaires dans la société crie.
Bourses : - Bourse du département d'anthropologie de l'Université de Montréal - Bourse d'études supérieures du Canada Joseph-Armand-Bombardier (maitrise) – CRSH
Courriel: hubert.pineault@gmail.com
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